JACOB HOLDT: “Misery and Love” (French)

By Anna Solal

Jacobs Holdt a été vagabond pendant cinq ans, c’est aujourd’hui un photographe danois un peu fou et fasciné par la généalogie, prêcheur contre le racisme. Il semble, ce qui est un peu absurde, ne pas encore avoir fait l’objet d’exposition. Crues et tendres, ses photographies nous font pénétrer dans les coulisses de l’American Way Of Life, espace onirique et cinématographique par excellence. Contemporain et lointain à la fois, son univers se situe quelque part entre Stephen Shore, Alec Soth, et Boris Mikhailov. La rudesse de certaines images n’est pas non plus sans évoquer le travail sur l’identité de Jeffrey K. Silverthorne. Les fresques dépeintes sont de puissantes amorces narratives tout en restant ancrées dans une certaine volonté naturaliste, presque proche du documentaire. Ses photographies fourmillent de références comme autant d’hommages amoureux à la photographie, pourtant il reste évasif à ce sujet, prêtant à son travail une portée plutôt politique.

Ses photographies sont traversées de fulgurances, on s’embrasse, on saigne et on prie. Les intérieurs précaires ressemblant davantage à des amas de déchets tout droit pondus d’un gargantuesque centre commercial. Subtilement remodelés par l’obscurité, ses volumes au bord de l’effondrement, successivement effrités par le vent, et gonflés par la pluie, prennent une dimension quasi sculpturale. Plus qu’une description purement sociale, ces espaces en démantèlement créent le trouble, interpellent l’imaginaire.

 

Une succession de portraits-stéréotypes de l’Amérique déchue s’entrechoquent dans la publication de son très beau catalogue United States 1970-1975. Les personnages sont réhabilités avec justesse, Jacobs Hodt ne se limitant pas aux clichés symboliques d’une réalité économique vue et revue. Une palette de prostituées, Ku Klux Klan, desperate housewives, Cadre moyen désespéré, ghetto-kid, cowboys désenchantés, transsexuels, nazis, starlettes, policiers, couples s’échouant sur leur lit, se suivent dans différents paysages.

De nombreux portraits sont saisissants. Une petite fille devant un lave-vaisselle, dont la blondeur des cheveux n’a d’égal que la pâleur inquiète du visage, se lève, légèrement tendue, dans une cuisine moderne et parsemée d’ombres. Elle n’est pas sans rappeler le petit garçon privilégié et solitaire que Phillip Lorca Di-Corcia met en scène dans une de ses photos. On peut parler également du visage d’un homme, surgissant de l’obscurité et soudainement empreint de mélancolie, comme ébranlé. À l’intérieur de son visage vient se loger cette étrange tension qui nous raconte que quelque chose d’insoutenable se passe en lui, et que nous y assistons. Comme dans les travaux de Mary Ellen Mark, les enfants sont des individus-héros, auréolés d’innocence, ils portent en eux la tristesse sidérante de leur avenir trouble, mais également une forme d’espérance. On peut encore évoquer l’image d’un grand-père, vivant dans une petite cabane, probablement aux abords du Mississipi. Il fume nonchalamment une cigarette. Le vieil homme, tout de lambeaux vêtu, semble malgré lui afficher une invraisemblable élégance, que même la mort ne lui dérobera pas. Comme chez Nan Goldin, le dénuement s’exprime non seulement à travers ces corps alanguis et tourmentés, mais surtout grâce à l’incroyable intensité des regards qu’il happe, quelquefois d’une frontalité à toute épreuve. C’est là où se niche l’intimité la plus profonde et la plus délicate à cerner, et où se situe son réel talent, virtuose d’avoir réussi à attraper cela.

 

Jacob Hodlt s’inscrit très clairement dans la grande tradition de la photographie américaine à la teinte argentique et vibrante, il porte en lui un certain nombre de conventions. Comme Gus Van Sant, en génie du cadrage, il cerne les choses dans des compositions magistrales, avec une incroyable justesse, qui convoque une beauté singulière.

Sur son site, on peut retrouver un ensemble assez fourni de ses œuvres, une présentation graphiquement fort laide qui est loin de mettre en valeur ses photos, mais on peut y reconnaitre une configuration originale, comme un outil de promotion donc. Véritable pied-de-nez aux institutions, Jacob Holdt reste un personnage de hippie mystérieux qui enferme malheureusement dans un discours prédéfini un travail qui regorge pourtant de multiples possibles, qui laisse complètement rêveur.

United States 1970-1970, by Jacob Holdt

Steidl Gwinzegal Edition

http://www.geometrie-variable.com

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